panoramique fluides

panoramique fluides
acrylique sur toile 2007 97x200 cm

lundi 21 mai 2007




EXPLORER L’ENTREBAILLEMENT INFIME QUI SEPARE LA PEINTURE DE LA VIE

Il y a cette longue histoire qui nous vient des cavernes. Ces aventures successives de peintres scrutant avec entêtement le même mystère. L’inexplicable émotion associée à la contemplation de ce monde qui nous entoure. La passion encore plus inexplicable, voire franchement détraquée, qu’est l’art du peintre. La pulsion étrange qui incite certains hommes à ramasser un peu de gadoue et à l’étaler sur un mur avec l’espoir de capter quelque chose qui n’est pas la vie mais qui joue avec elle.

La peinture de Vincent Phelippot s’inscrit dans cette histoire. Les moyens qu’il se donne sont simples et en un sens archaïques : de la toile, des pinceaux, un peu de peinture (même si celle-ci est devenue acrylique), une forme répétitive dont il poursuit les avatars en la promenant dans des espaces, des éclairages, des contextes émotionnels toujours différents. Et c’est tout.

Ainsi armé ou plutôt désarmé, il s’en va piocher aux confins du figuratif, comme un archéologue qui quêterait la lumière au fond de la mine. Ce qu’il ramène est aussi troublant que difficile à décrire. On sait seulement qu’il est question d’espace, de lumière, et de la faille mystérieuse qui sépare et unit l’art et la vie.

Le choix de l’acrylique

Chez un peintre aussi passionné par les maîtres d’autrefois, le choix de l’acrylique peut apparaître paradoxal. Pourtant il n’en est rien puisque tout part d’une très ancienne technique : le glacis. Vincent Phelippot aime les glacis et les couches en surimpression.

Autrefois il y avait des ateliers spacieux, des élèves au travail, des commandes, plusieurs travaux en cours à des degrés divers d’achèvement. La réalisation d’un tableau s’inscrivait dans la durée, avec des étapes de séchage.

Le peintre contemporain travaille généralement seul et, bien souvent, l’espace lui est compté. L’acrylique, sec en un quart d’heure, permet à l’artiste de superposer des couches tout en travaillant sur un seul tableau. Il en résulte une contraction du temps qui dramatise le travail et qui, chemin faisant, modifie profondément le face à face du peintre avec son œuvre.

Car toute nouvelle couche doit être passée en un quart d’heure maximum ! Pour les grandes pièces, Vincent Phelippot prépare longuement ce moment clé : projet minutieusement établi, préparation des couleurs, concentration. Vient alors ce bref intervalle qui concentre l’action, instant presque violent, moment d’implication intense qu’il faudrait protéger en allumant le signal rouge, comme dans un studio : silence ! Il tourne.

Les grandes toiles et les petites études

L’importance de ces contraintes temporelles varie évidemment en fonction de la taille de l’œuvre. Le projet aussi.

Réalisées dans le calme, les petites pièces sont des études qui retracent des impressions cueillies à partir de choses vues. Il s’agit d’expérimenter, de noter un jeu de couleurs, une lumière en mouvement, une ombre instable. En somme des croquis, mais des croquis plus qu’esquissés : aboutis, toniques, joyeux, rassasiés de vie.

Avec les grandes toiles, Vincent Phelippot se livre à un décryptage plus avancé de la chose vue. Les dépôts successifs de plusieurs glacis, les traînées qui font apparaître les couches profondes, la révélation de plusieurs sources de lumière, le regard ambigu, mouillé, déformé, qui est porté sur la couleur et l’espace : au delà du peint, une fenêtre est ouverte.

La chose noire

Sur le sol noir qui établit la ligne d’horizon on observe la présence d’une chose noire. Toujours la même. Toujours différente. Dans tous les tableaux.

Ce noyau épicentral, c’est le sujet de la peinture. Il y a donc quelqu’un ou quelque chose par qui et pour qui se construit l’histoire que nous raconte chaque tableau. Rassuré, l’œil s’appuie sur le repère qui s’offre à lui : c’est bien un monde qui nous est donné à voir.

La chose noire est un repère, qui soutient la construction de l’espace visuel. Mais que l’on ne s’y trompe pas : cette chose noire est aussi et même surtout un épicentre responsable des mouvements sismiques qui animent les lumières, les couleurs et les émotions. C’est une plante météorique qui fait vibrer les nuances les plus ombrageuses. Qui transforme les éclipses en aurores boréales.

Françoise Frisch, 2003

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